05 juin 2007

Je suis de là


Les murs de brique, les murs de brique, murs rouge brun de brique, maisons de ville en contiguïté, rues anonymes, un peu sévères, beaucoup de briques, une enfilade, des maisons en enfilade, portes fermées, portes sagement fermées, fenêtres aux rideaux sages, un peu ternes, des petites boîtes aux lettres en fer blanc, à même hauteur, du même côté de chaque porte, des trottoirs de même mesure de chaque côté de la rue, de chaque côté du bitume, du bitume qui a remplacé les pavés, moins de bruit les voitures qui passent, mieux pour les vélos, moins de cahots, moins de crevaisons, des voitures garées d’un seul côté, stationnement alterné par quinzaine, voitures bien garées alignées ne dépasse pas aucune une belle ligne toute droite, seulement un étage au-dessus du rez-de-chaussée, un seul étage de brique en plus, le seul étage pour toucher au ciel, un peu gris, pas toujours, mais un peu, mais pas toujours, c’est vrai, mais gris, là, au dessus de la rue des maisons de brique en enfilade, c’est vrai derrière le gris un petit soleil pointe c’est vrai c’était comme ça, gris avec le soleil derrière, et ce qui va avec cette brique c’est cette odeur de fumée, oui la brique me fait venir aux yeux la fumée des usines, et les usines d’avant sans doute car non il n’y en a plus, plus guère, combien vingt ans, trente ans, oui trente ans, tant d’années que ça et tant d’évidence dans mon pas mon savoir cette fumée cette brique, mais pourquoi veux-tu aller là haut, qu’est-ce que tu y trouveras bien, ils s’étonnent tous autour de moi, ah bon, tu as habité dans le Nord, je ne savais pas, oui c’est vrai tu ne le savais pas, on se présente les uns devant les autres avec notre bonne mine et tout notre avant concentré à l’intérieur, le produit de ce que nous sommes des années d’avant, les années aux sources claires et aux fumées acres qui s’emmêlent en nous, toutes ces strates auxquelles nous n’accédons nous-mêmes plus, dans le tri des souvenirs heureux et malheureux, dans ce qui émerge de l’inconscient ou à la faveur d’une plongée dans une amnésie d’enfance, au détour d’une anecdote ou au hasard d’un voyage, c’est fou alors comme ça tu es allé à l’école à Roubaix, c’est vraiment rigolo, et c’était en quelle année, ah non, peut-être pas, et c’était quelle école, il y avait un parc à côté tu me dis, non, nous on habitait de l’autre côté, tout près du parc Barbieux, à la limite de Croix, parce qu’il est des chemins que l’on ne trouve pas, que l’on ne retrouve pas tout de suite, il aura fallu, mais comment n’ai-je pu m’en souvenir avant, il aura fallu cet album photo pour que j’accède à ces dalles lisses du trottoir et à ses bordures inégales, et de l’évidence de ce pas et de ces odeurs qui me guident, et qui n’appartiennent qu’à moi, cet album enfoui, refusé au delà de moi, ces photos où le petit bonhomme au pantalon rapiécé, seul dans la grande allée en pente pas loin du plan d’eau du parc Barbieux, tripote la fermeture éclair de son blouson, et c’est qu’il a l’air heureux, diablement heureux, un lacet défait sans aucune importance strictement aucune importance je sais ce que je fais là je sais je reconnais ce chemin parcouru, je me reconnais tout fulgurant sur la photo noir et blanc, et mon regard qui sait, qui semble déjà tout savoir et que j’avais oublié alors que dans mon petit être concentré vivaient déjà ces émotions d’aujourd’hui et cette brique, du lego à la maison, des briques et des briques et mes poils de nez tout émus de cette fumée qui existe de trente ans et qui fait que moi et qui fait d’évidence que je suis là et que les yeux fermés je sais où je vais, je sais désormais que je le savais, c’est à moi, je suis la photo, dans la photo, c’est moi la photo, je suis à moi, je m’appartiens, je suis mon sourire, je suis moi.




13 mai 2007 - Paris

1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Du souvenir vivant à la révélation de l'être, de l'Etre, de toi... c'est très émouvant.

11:02 AM  

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