14 décembre 2006

Cartilages

regarde la feuille rectangle les doigts qui caressent le coin droit gauche des deux pouces douce douce feuille douce nouvelle feuille douce en hauteur douce beige ivoire douce feuille la main droite le doigt index à gauche qui pose plie main bleue veine lire pas lire pourquoi pas pas lire oui lire je vais lire ça l’idée me plait j’aime bien ce papier cette feuille là merci c’est doux je suis rassuré le silence c’est plus beau pour écrire et là silence beau c’est bizarre ce papier sans ligne c’est comme quand on m’a poussé dans la piscine la première fois je ne sais pas nager je l’ai crié mais on ne m’a pas écouté on m’a poussé l’eau était dure mais je ne me suis pas noyé j’étais furieux vexé et là oui c’est beaucoup de vide blanc au dessous mais je sais que ça ne fait pas peur je le sens au fond de moi c’est chaud c’est lourd caresse intérieure plaisir presque jouissance oui ah ah presque presque et ma main qui a pris ses distances en bas de la feuille et qui sait non c’est idiot c’est moi qui sait c’est beau l’encre noire j’ai vraiment une écriture de sagouin et je voulais dire quoi que ma main qui n’écrit pas avec toujours son doigt index qui pointe sais déjà que le stylo va écrire des mots jusqu’à elle et qu’est-ce que ma main et qu’est-ce qui va bien pouvoir se passer quand on va arriver en bas de la feuille où elle va aller ma main elle va tomber hors de question de la poser hors de la feuille ma main est tout près de moi alors je ne peux que remonter la feuille pour avoir un peu de mou avant de m’écrire direct sur les doigts pliés de la main toujours la même qui ne fait rien mais qui croit qu’elle fait parce qu’elle a son doigt j’aime bien écrire que ma main sait et dire qu’elle a du pouvoir alors qu’elle n’écrit pas.






dans le noir c’est où le bruit le bruit des gens des voix c’est la nuit des gens dans l’appartement dans ma chambre réveillé c’est qui les gens qui parlent j’ai un peu peur mais j’ai envie c’est qui les gens tout noir chambre pas éteindre la lumière il fait tout noir oui je me lève je veux me lever les gens savoir qui parlent couloir porte ouverte pieds nus pas de bruit la porte la porte du couloir fermée mais non pas fermée tant mieux juste un peu de lumière dans la fente un petit peu tout petit peu ouverte la porte du couloir les gens qui rient qui parlent derrière la porte ils ont des voix il y a plein de voix différentes j’ai un peu peur mais c’est qui les gens c’est doux la moquette pieds nus j’aime bien j’ouvre la petit peu petit peu la porte du couloir il y a des gens que je ne connais pas qui parlent c’est qui on dirait qu’ils se croient comme chez eux il font comme si ça sent la fumée de cigarette très fort je vais voir qui c’est qui fume et qui parle et qui parle et qui c’est je vais ouvrir tout grand la porte parce que je suis chez moi pour voir c’est qui les gens qui parlent et fument et qui se croient chez eux qui leur a ouvert la porte je ne comprends pas de quoi ils font avec leur geste leurs mains très grandes et qui bougent beaucoup ils sont très grands debout je ne connais personne du tout il n’y a même pas c’est qui et pourquoi je ne les connais pas c’est rigolo ils ne me voient même pas tellement ils parlent en haut avec des cigarettes et des verres d’eau peut-être ce n’est pas chez moi et que je me suis trompé j’ai un peu peur et un peu froid et un peu faim et personne qui me voit qui me connaît qui me parle je suis dans un autre pays c’est pourquoi les gens ils rient avec des choses que je ne comprends pas j’ai failli tomber je me suis cogné à un pantalon qui ne m’a même pas vu et je vais peut-être pleurer mais peut-être pas quelqu’un a trouvé ma main.






on me regarde on me regarde ou pas je veux me cacher peut-être je mets ma main sur mon nez pour qu’on voie pas le tuyau je déteste le métro avec tous ces gens qui me regardent et qui ne me regardent pas ils le font exprès ils font comme si mais ils regardent ils voient bien que j’ai un gros tuyau qui sort du nez j’ai honte j’ai honte et ce gros bout de sparadrap ils auraient pu éviter et dire que ce tuyau va jusque dans mon estomac heureusement que j’ai trouvé une place dans un coin et la plante du pied gauche qui me gratte énormément c’est horrible comment je fais ça ne passe pas les doigts dans la chaussure ah si un peu avec mes clefs ce sera mieux ah oui c’est bien c’est très très bien à chaque fois quand ça gratte et qu’on gratte après ça ne gratte plus ça marche toujours c’est le sparadrap du nez qui me gratte comment ça se fait que je ne le sens pas dans mon estomac le tuyau j’ai bien vu l’infirmière ça m’a fait mal dans la gorge quand le tuyau est passé elle puait du bec l’infirmière dommage je me la serais bien cajolée on verra si c’est la même qui va me retirer le tuyau oui j’ai bien fait de prendre une journée au travail avec mon tuyau dans le nez ça n’aurait pas été possible non non j’ai bien fait ça va faire vingt-quatre heures que j’ai ce fichu bout de plastique dans le corps et tout ça pour me dire qu’au final tout va bien comme d’habitude c’est pas eux qui l’ont eu toute la journée et la nuit dans le nez le tuyau on aurait dit un tuyau de douche avant qu’il rentre ils sont fous mais ça m’a fait moins mal que je pensais pourquoi il me regarde lui il m’a jamais vu ah non lit journal derrière franchement personne ne regarde personne quand je relève la tête là personne regarde personne tout le monde aurait un tuyau dans le nez que ce serait pareil je n’aurais pas de tuyau tout le monde s’en moquerait pareil c’est infernal même pas un regard de pitié rien tous morts qu’ils sont ça vaut bien la peine j’espère qu’ils vont me retirer et que je vais pas le garder le tuyau et qu’il vont me débrancher tout ça et le truc là en bandoulière qu’ils m’ont mis et qui mesure l’acidité on dirait un transistor heureusement je peux le cacher celui-là en fait j’en suis presque fier de mon tuyau j’ai été bon j’ai même pas baissé la tête j’ai assumé jusqu’au bout même le sparadrap ridicule affronte mon regard toi si tu l’oses et qu’elle vienne l’infirmière.




décembre 2006

2 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Je découvre... intriguée...
Je me suis accrochée au pinceau mais quelqu'un avait enlevé l'échelle.
Prise de vertige devant la feuille, je suis allée jusqu'au bout du tuyau sans reprendre ma respiration...

Etranges ces cartilages de mots... ils agrippent l'attention... bien plus que ton tuyau n'attire les regards. ;o)

Amicalement

6:18 PM  
Anonymous Anonyme said...

j'aime beaucoup ce que je perçois comme trois textes différents avec le même style. à chaque fois, on plonge dans quelque chose qu'on découvre petit à petit. il faut se lâcher, se donner une chance de rentrer dans l'ambiance. à chaque fois, l'image apparaît soudain très clair, un peu comme si l'oeil avait enfin réussi à accommoder.

1:51 PM  

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