11 novembre 2007

Parole

Elle racontait et je l’écoutais.
Etait-ce à moi ou à un autre qu’elle parlait, je l’écoutais.
Je ne reconnaissais pas sa voix.
De ma distance, je voyais ses épaules frêles sous la soie froissée, sa main posée délicatement à la naissance du cou, caressante et protectrice de son corsage, une bague en cornaline inattendue à l’auriculaire, lequel pianotait sur le premier bouton fermé.

Ce geste, sa main recueillie, semblait devancer l’arrivée des mots, leur faciliter une audace que son visage ne pouvait contenir, par le rouge de ses pommettes et l’éclat de ses yeux. De son autre main elle se tamponnait régulièrement le front d’un mouchoir blanc bien plié.

Son agitation allait croissant, ses traits s’enfiévraient, tandis que les mots affluaient de ses lèvres et sa voix franchissait les octaves vers le bas. Je la savais fragile de la gorge, et elle portait toujours sur elle, contenues dans un sachet de papier, de pastilles de miel dont elle usait fort et qu’elle distribuait à l’envi. Elle ne se rendait pas compte des ratés dans l’inflexion de ses mots. Comme du sucre cristal enrayait puis griffait peu à peu son timbre, qui s’éteignait pour devenir murmure, scansion inaudible.
Sa main remonta peu à peu à son cou pour étreindre sa gorge, alors que les mots ne sortaient plus du tout et ses larmes jaillirent pour de bon, sa dernière ressource pour dire son impuissance.
Un verre d’eau lui fut apporté et on la fit asseoir. Elle put prendre un bonbon au miel qu’elle suçota longuement, retrouvant peu à peu son calme. Son mouchoir essuyait désormais ses yeux.

En tombant sur sa voix comme un voile opaque ses sanglots m’avaient pour la première fois fait accéder au tumulte et à la gravité de son âme, comme la voix rayée d’un corps intérieur qui refusait la décision des jours.



30 septembre 2007, Paris