19 janvier 2007

Autoportrait en petit

Tu ne renieras pas tes parents.
Je ne renierai pas mes parents.
Quand bien même je le voudrais, quand bien même je l’ai voulu, me rêvant une naissance mystérieuse, abandonné sous une porte cochère par un matin blanc, trouvé presque bleu mort de froid, réchauffé par un sein protecteur ayant reconnu à la finesse de ma layette la noblesse de mes origines, ayant traversé tous les océans et mer du monde avant d’être recueilli par des imposteurs se prétendant mes géniteurs, non je ne renierai pas mes parents.
Non je ne les renierai pas. Ils me ressemblent trop.
Ils sont mon portrait craché, et sont d’une ascendance pareille, eux-mêmes mes grands-pères et mère tout ressemblants à leurs enfants.
Si l’on pouvait de moi extraire deux calques, ce serait dans l’évidence les deux portraits de mon créateur de père et de ma créatrice de mère, les bras un peu ballants, les sens tout ébahis de cette émanation qu’ils sont de moi comme je suis une émanation de leur chair, de leur geste, de cette indécence tout nu que je fus, de cette incongruité vagissante, de larve devenu miroir, miroir troublé comme d’un caillou sur l’onde, et mue de peau et de voix, et vœu d’indépendance, mais : ces regards faits du même métal d’or vert qui pâlit au soleil.

Je me demande si je m’appartiens. Je regarde en souvenir cette photo de moi en petit bonhomme qui ne raconte absolument pas la même histoire que l’on m’a maternellement diffusée depuis toujours, car ce que j’y retrouve, ce sourire un peu timide juste avant l’éclat, ce deux petites mains qui tripotent la fermeture éclair du blouson, et ces yeux qui partent du bas pour voir l’en l’air, je le ressens et le sais de moi, de ce que l’adulte ne sait pas bien cacher de ses émotions, de ce petit corps toujours lové à l’intérieur et qui a toujours envie de ne marcher que sur le blanc des passages piétons ou le plus longtemps possible les yeux fermés sans tomber.

Je me vois donc toujours derrière ce carreau à peine embué. Derrière, les lumières de la ville scintillent, quelques néons clignotent, la circulation en bas et les feux de signalisation. Dessinant du doigt sur la vitre mon reflet, le contour de ma tête, les oreilles à peine décollées, la bouche pincée et le menton épais, juste la tête, le corps je ne sais pas faire. Je ne sais pas encore faire. Il n’est pas encore tout à fait à moi, mais je sens qu’il va devenir beaucoup. Car j’apprends les gestes, ces gestes d’exception qui me permettront de m’approprier volume et créativité, et de sortir du rideau derrière lequel je me cache pour, cette fois, vraiment entrer.



le 6 janvier 2007, Paris