18 mars 2007

Promenade avec l'enfant

Il est de ces enfants dont le regard détonne sur le reste. De ce bonhomme avoisinant les cent centimètres, la tache des yeux donne à penser qu’il n’en serait plus au stade de la candeur. A le voir regarder les êtres, on se persuade qu’il voit et qu’il sait, qu’il sait dès qu’il a vu. Qu’il a compris. Transpercé. Il Sait. Plus d’argument à présenter là-contre.
Ce serait un visage d’adulte sur un corps d’enfant. Plutôt un regard d’adulte dans un visage d’enfant. Ou encore un regard d’adulte dans des yeux d’enfant. Un regard qui n’a pas à y être.
C’est encore plus ému qu’on le voit retourner aux jeux et aux gestes de son âge. Car c’est un enfant. Un enfant avec des idées d’enfant.

Dans la grande allée du parc, le petit d’homme, ce petit petit d’homme marche seul. Son pantalon est couronné de cuir aux genoux, il a les lacets défaits, son manteau à capuche est grand ouvert et la capuche suit le mouvement. Quelqu’un le suit des yeux, mais il se croit seul.
Le parc est assez grand, assez vallonné, l’herbe du premier printemps donne espoir d’une saison belle, le gravier des allées est bien ratissé, quelques arbres ont été replantés, et de gros buissons joufflus ont été taillés en boule et se tiennent par la main comme pour une ronde. Sur le plan d’eau quelques cygnes règnent en majesté tandis que les canards se moquent.

L’enfant lève bien haut les genoux dans l’allée qui descend, et accélère. Il rit tout seul, tout gai. A quelques pas en retrait de lui, un homme, l’appareil photo au cou, marche à pas lent. Il a cet enfant en garde. C’est un ami du père, et le couple va mal, alors, il se promène avec l’enfant, l’enfant si heureux d’avoir la nature et le monde pour lui.

Enfant dont l’homme cherche à capturer le regard sans être vu, sans lui-même être soumis à ce regard qui le déstabilise. Capter un vrai regard sur les choses de cet être si neuf, pourtant traversé d’émotions si fortes, les toutes premières émotions. En restant ainsi en retrait, il espère être témoin de la rencontre et de ce premier regard.
C’est un peu son métier, c’est un peu son art.
Et par ce catalogue d’images, de photos, laisser la trace pour les grands, peut-être, mais surtout pour le petit. Car elles seront pour lui. Pour lui permettre, si un grand bonheur de hasard les lui fait regarder sous cet angle un jour, d’y lire ce qu’il y avait de vierge alors, de cet éclairage sans a priori encore, cet éclairage qui prend tout, qui se nourrit généreusement de tout ce qu’on lui offre, qui ne choisit pas car il n’a pas à choisir, et qui engrange des seaux de sensations qui lui dégoulinerons dessus toute la vie. Alors oui, être là à ce moment-là, c’est le moins, ce devrait être le moins.
Et vu ce regard qui sait, il serait triste qu’il perde cette acuité pour y lire dans ce futur nécessairement moins pur. Ô garde-la ! Que tu ne te souviennes plus de ce que tu Savais, qu’importe, mais que cette magie ne t’échappe pas !

Il a déjà pris quelques clichés. C’est un plaisir inouï, il ne donnerait sa place pour rien au monde. C’est un peu son enfant d’abord. C’est un peu grâce à lui s’ils se sont rencontrés. Et il y a un comme un air de ressemblance. Et ce vert si vert va tellement bien au gamin tout blond.
Qui a trouvé la seule flaque d’eau.



3/3/7 - Paris