20 mars 2007

De l'étirement

De loin, je la sentirais bien venir de loin, du cœur extrême de mon organisme, cette idée d’épuisement général. Lorsque je la pense, la sensation va chercher au profond, dans un dédale de veines, muscles et tuyaux, et je la sens qui palpite et qui attend, toute contente, qu’on la réchauffe, qu’on la sollicite, qu’on en abuse, qu’on la dilate. Avec quel plaisir elle voudra occuper tout l’intérieur, pour adoucir, caresser, pétrir toutes ces fibres endolories, contrariées, négligées, agglutinées et pendantes.
Je suis fatigué. Fatigué, oui Fatigué, le corps las, épuisé, le corps lourd et verrouillé, englué dans des sédiments calcaires qui s’ossifient, et, fatigué de chaque membre, je ressens tous mes osselets qui réclament détente, qu’on leur tire dessus pour trouver espace et liberté, du plus gros au plus petit fragment. Si je parviens à me considérer en mon entier, je sens que chaque parcelle de mon corps réclame étirement et sommeil, je ressens bien jusqu’au plus petites particules des plus petits os de mes plus petits orteils qui cherchent exutoire.
Je voudrais la méthode absolue, une méthodique infaillible qui me permette de ne rien négliger, ne négliger nulle part, de considérer chaque pièce du puzzle une par une par une par une jusqu’à toutes pour offrir à chacune à chaque fois la condition exacte de repos et de plaisir, de plaisir par l’extension, la détente jusqu’au plus loin d’elle-même, jusqu’à l’absolu du pire de sa taille pour l’exhorter à sortir de sa pétrification, la dépouiller de son tartre, l’exalter de son orbite pour lui offrir son possible entier, sa puissance mathématique maximale, de la plus petite particule crânienne à l’ongle du gros orteil en passant par les excavations du nombril.
Cette systématique de l’étirement assume pleinement l’idée de jouissance concentrée, de jouissance pure et première : par la connaissance de chacune de ses particules, par la numération consciente de son entier, la conscience de l’activité chaque du limité illimité qui nous compose, de la volonté ordonnée de faire œuvre exhaustive de tout ce qu’enserre notre périmètre connu.
La jouissance est première et absolue car elle confine au vertige. Du plus sympathique bâillement en chaîne à l’étirement visible des bras tendus vers la nue, à l’instar du premier réveil d’une très belle au bois dormant, il n’est alors question que d’expansion, que d’expression, vers l’extérieur, noble et grandiloquente, corps et bouches ouverts, une prise de volume du dehors. Mais, ce me semble, les ouvertures infinies du monde extérieur ne sont rien en comparaison du flux torrentiel, de ruisseaux en cascades, de l’illimité des expansions intérieures.



14/3/7 - Saint-Wandrille