18 mars 2007

Une demi-heure de soleil

Ma chambre est au nord-ouest. L’été, j’ai tout de même une demi-heure de lumière concentrée au coin du mur. Je m’y loge, accroupi.
Ce coin de mur est un cône de lumière par la grâce de la conformation du terrain de ce nord-ouest, en pente et garni d’une végétation de sous-bois, de ces plantes d’ombre, d’ombre humide, et cette mousse verte aux beaux jours, qui ira du jaune au brun pour le reste, et le lierre qui envahit, et la vie morne sous ces feuillages touffus.
Une demi-heure de lumière concentrée au coin du mur. C’est mon heure. Mon heure de lumière. L’heure, la demi-heure, où j’existe. L’été seulement. Mon heure d’existence au coin du mur. Où je me loge accroupi. Où je veille à ce que chacun de mes membres soit dans la zone de lumière. Accroupi donc, réuni donc, dans cette demi-heure de fin d’après-midi. C’est là que je nais, et que je finis si peu après, j’ai à peine le temps de bouger, le temps de me créer, tant de vigilance étant employée à rester dans le cône éclairé, je n’ai à peine que le temps de me compter, deux bras deux jambes et deux genoux enserrés dans deux mains jointes et je ne sais combien de doigts noués. Mon corps tout réuni en un seul morceau entre ces trois arêtes de mur. La moquette est douce. Le papier au mur est doux. C’est bien et c’est important car le contact est au maximum, tant je dois m’y coller, en reculant presque, pour respecter le cadre.
Une demi-heure de lumière concentrée où je tente de me parachever. Je suis mon œuvre, je n’ai que ça à faire, mais à chaque jour il faut recommencer depuis le départ, il me faut me recommencer avec l’art le plus rapide, chaque jour je progresse, chaque jour je trouve un meilleur départ, chaque jour je trouve un meilleur chemin chaque jour je me sens aller plus loin, chaque jour je me rapproche de la jouissance ultime. Oui, chaque jour je déjoue les pièges de la veille, mais chaque jour recèle de nouveaux pièges que sans cesse je surmonte que sans cesse je déjoue mais qui sans cesse se recréent. Plus la saison, la courte saison, avance, plus le temps est périlleux, plus les chausse-trappe se multiplient, j’ai beau me coller me coller me coller le plus possible au mur le temps se rétrécit le cône de lumière se rétrécit et je sais que cela va être fini, encore fini cette fois, fini sans être achevé, fini sans avoir eu le temps de mener à bien rien, rien de bien mené à bien, rien de fini, rien qu’il ne faille une autre fois recommencer à zéro à partir du zéro de lumière à partir d’un coin tout noir coin tout noir qui mettra tant de saisons à renaître et encore renaître infime du presque zéro tout nu où dans ce presque zéro je ne serai que poing infime et contracté les yeux opaques et les oreilles bouchées où je devrai grandir de l’intérieur toujours contenu dans le faisceau ridicule d’un rayon naissant pour peu que les rideaux ne soient pas encore tirés à toujours retenir retenir ma croissance pour ne pas aller plus vite que le soleil sans quoi la foudre, me suffire d’être zéro d’abord pour tant et tant de jours après pouvoir lever la tête un peu développer le cou ouvrir le front et les yeux et le nez et me moucher dans le jour et attraper un filet d’air par cette bouche et, et recommencer la toile des filins de la tête intérieure en les extirpant de ces grumeaux de mucus et peut-être qu’un jour le soleil va tourner ou les murs tomber ou bien ou alors pourquoi pas oui ce morceau de mur serait la mesure du monde sans avoir à me recommencer sans être à chaque fois le zéro tout rond, et pour participer aussi à la création du soleil et ne pas devoir périr tout le temps parce que là septembre presque octobre déjà novembre en plein le zéro le zéro tais-toi tais-toi tu n’es pas tais-toi.



13/3/7 - Saint-Wandrille

1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

"Il n'est vraiment pas nécessaire de prendre son vol pour arriver au beau milieu du soleil, mais il importe de ramper sur terre jusqu'à ce que l'on y trouve une petite place propre où le soleil luit parfois et où il est possible de se réchauffer un peu".

Extrait de "Lettre au père" de Franz Kafka.

9:17 PM  

Enregistrer un commentaire

<< Home