28 septembre 2008

Le départ


Evidemment il est agacé. Il se cache derrière sa tasse de café, et il n’a qu’une hâte c’est de rejoindre sa porte d’embarquement. Depuis le début il a envie d’être seul. Dès que je lui ai proposé de l’accompagner je l’ai senti et j’étais certaine qu’il ne me le dirait pas. Plus je lui demandais plus il affirmait le contraire. J’ai été étonnée qu’il n’ait qu’un gros sac, pas si gros d’ailleurs, rien que ça pour presque deux semaines de vacances, je me demande comment il fait et quand je lui ai posé la question il m’a répondu qu’à part sa brosse à dent et son rasoir il n’avait besoin de rien. Il n’a pas dit un mot entre la maison et l’aéroport, c’est la radio qui a fait la conversation, sauf quand il a ouvert la fenêtre pour fumer, j’ai éteint. Le parking était plein, j’ai beaucoup tourné pour trouver une place. Il pourrait tout de même passer le permis de conduire, évidemment je ne vais pas lui répéter il va encore dire que je me prends pour sa mère. C’est stressant les parkings. Il m’avait dès le départ conseillé d’aller au dernier niveau, j’aurais dû l’écouter, je me suis énervée toute seule à chercher absolument le plus près de l’entrée vers l’enregistrement, et j’ai perdu du temps. 31 B bleu, quatrième niveau, c’est lui qui m’a dit de bien le retenir, pour me retrouver, je n’aime vraiment pas les parkings. Il n’y a pas trop eu la queue à l’enregistrement. Il avançait doucement dans la file, sans même sortir les mains de ses poches, poussant juste son sac du pied. Il me fait froid avec sa chemise à manches courtes, mais c’est vrai là-bas le climat s’y prête. Il a déjà sa tenue de là-bas. Il n’est vraiment pas tendre avec moi, il ne fait aucun effort, à part ses coups de pied dans son sac, comme si c’était pour moi. Il n’a gardé aucun bagage à main, juste son portefeuille et ses lunettes de soleil. Ils distribueront bien des journaux dans l’avion, avait-il dit. Nous prenons un café dans l’aérogare. Il a l’air content de partir, je le comprends, j’aurais bien aimé. Il est déjà bronzé en fait, comment il fait ? Ses cheveux sont trop courts, j’espère qu’il va se les laisser repousser un peu. Je lui ai dit. Il n’a pas réagi. Il me pose des questions, c’est un peu laborieux, comme s’il faisait son devoir de s’inquiéter de ce que je ferai pendant son absence (mais travailler mon tout beau), mais j’ai besoin de parler et je lui réponds en lui retournant des questions, car il ne m’a donné aucun détail sur ce qu’il va faire là-bas, il dit qu’il ne sait pas encore, qu’une fois arrivé il improvisera, il n’aime pas prévoir à l’avance. Tout le contraire de moi. Mais ça, nous le savons déjà chacun. Il se ronge l’ongle du pouce. Je pose ma main dessus pour qu’il arrête. Il ne retire pas. Je lui demande si il veut que je vienne aérer un peu chez lui pendant son absence. Il ne répond pas. Il regarde les avions à l'attente, derrière l’immense baie vitrée. Mais il me dit que si je veux je peux aller dormir chez lui si ça me tente. Qu’est-ce qui lui prend ? Même si nous avons naturellement nos clefs respectives, seule chez lui, dans le lit, je n’ai jamais fait. Peut-être, je lui ai dit. Il ne dit plus rien il se renfrogne. J’ai pourtant tellement envie que nous nous rapprochions un peu. J’ai froid et il s’est reculé au plus loin possible sur son siège, il passe en revue le contenu de son portefeuille, il compte ses sous, il va payer, il revient. Il ne me regarde toujours pas, il attend que je m’en aille ou que je dise quelque chose. Il a les deux mains bien à plat sur ses cuisses, la bouche entrouverte, il regarde dehors, jusqu’au bout il me refuse une once de tendresse, il est tout seul avec son corps.
Je vais y aller, dit-il.






Les cafés d’aéroport sont des lieux bizarres, les gens ont de ces drôles de têtes, ils ne sont pas détendus. Hâte de partir ou peur de rater leur avion, ce doit être ça. Ces sièges sont froids, et ce vert pomme c’est vraiment laid, ça me donne mal au coeur. Je vais peut-être reprendre un second café. J’aimerais bien l’embrasser, mais c’est mal parti. J’aimerais bien qu’elle vienne contre moi. Elle ne le fera pas. J’aimerais bien être plus détendu, mais je n’y arrive pas, je la sens tendue comme un arc et elle me contamine. J’en arrive à me sentir coupable. Elle m’en veut de partir. Pas de partir sans elle, non, de partir, juste, de faire une parenthèse, hors elle. Je devrais peut-être prendre de l’argent au distributeur ici. Je suis ridicule de ne pas lui parler, mais je ne peux pas, je me sens comme du béton. C’est elle aussi, elle me connaît, pourquoi elle force le passage, elle sait parfaitement que j’avais envie de venir seul, que c’est un moment important pour moi de partir seul, vraiment seul, j’ai besoin de mon sas de décompression, et là elle est là pétrifiée, elle m’en veut, elle s’en veut de m’en vouloir et elle fait la tête. Elle me propose ou elle ne me propose pas, mais qu’elle assume. J’ai un peu froid avec cette chemise, j’aurais dû prévoir un pull. J’espère qu’elle va retrouver sa voiture après, elle m’inquiète. Elle déteste encore plus les au revoir que moi, et c’est elle qui va se retrouver toute seule sur le quai, comme à la gare. J’aurais mieux fait de lui dire non tout de suite, je suis vraiment idiot. Elle n’a pas ce qu’elle veut et moi non plus. On est arrivé bien trop tôt en plus, j’aurais bien aimé dormir encore, il y avait largement le temps, tant qu’à venir en voiture. Elle était pressée comme si c’était elle qui partait, à peine j’étais levé qu’elle avait déjà tout replié draps et couverture, elle m’a poussé dans la douche, et à faire trop vite je me suis coupé en me rasant. Elle a fait la tête que je fume dans sa voiture, mais elle ne sait pas ce que c’est, après c’est presque quatre heures en tout sans fumer. Je me suis senti bête arrivé dans le parking, elle s’agitait toute seule, comme un insecte perdu entre le rideau et la fenêtre, j’ai eu tout d’un coup envie de rester, de lui arracher les bras du volant et d’être tout contre elle, envie beaucoup d’elle mais elle n’a pas pu comprendre. Je voulais que ça se termine vite, envie de me séparer de tout, d’effacer le sac, d’effacer elle et de partir sans surtout un mot, d’effacer l’aéroport, et tout. De la flotte ce café. Nous avons réussi à parler un petit peu tout de même. L’idée de vivre ensemble plane toujours, même si ni l’un ni l’autre ne l’abordons ; la savoir peut-être chez moi quand je n’y serai pas me fait bizarre, c’est une mauvaise idée de lui avoir proposé. Je suis content qu’elle ait mis sa main sur la mienne. Nous les gardons ensemble sur la table un petit moment. Toujours elle en premier. J’ai un bout d’ongle coincé entre les dents. Un jour les avions se mettront à picorer pour de vrai et s’envoleront tout seuls. J’espère que j’ai assez pour payer les cafés. Elle a gardé mon billet, ou c’est moi ; oui, c’est moi. Je voudrais bien lui sourire, mais elle a gardé ses lunettes de soleil, ça m’énerve, je ne vois pas ses yeux.



vendredi 15 août 2008, Boissy-lès-Perche