09 avril 2007

Le gant

Madeleine marchait désormais seule au bord du lac. Son compagnon avait dû se séparer d’elle quelque instant pour aller s’enquérir d’une pressante nouvelle. Elle marchait à pas lent, son visage protégé du soleil par une ombrelle de toile écrue, et une léger souffle faisait onduler ses dentelles. Son pas était lent et l’on devinait à peine son talon naissant de la longue et pale étoffe de sa robe, frôlant les herbes. Son maintien était droit et sa taille affinée par quelque corset, rehaussé d’un col montant tréfilé de parements argentés. Une fine ligne de boutons fermait jusqu’en haut son vêtement, une fine ligne de boutons d’une nacre rosée. Sa longue chevelure aux reflets roux était nouée en un chignon compliqué et tenue par un collier de perles de même nacre.
Son pas était lent, elle se sentait un peu lasse. Elle gardait les yeux baissés, presque fermés, tant elle goûtait le vent léger, tant elle se reposait de toute cette lumière reflétée sur l’eau, et se berçait du clapotis lointain de rameurs se préparant à la petite course qui s’annonçait pour la fin d’après-midi. Elle faisait doucement tourner dans ses doigts son ombrelle, faisant jouer les contrastes d’ombre et lumière sur le sol.
De son autre main, elle faisait sans s’en rendre compte tournoyer la paire de gants qu’elle avait retirés. Dans un mouvement d’inattention ceux-ci lui échappèrent et allèrent se poser, comme deux plumes, sur l’eau du bord du rivage. Il était sans doute vain de tenter de les récupérer tant son habit compliqué entravait ses mouvements.
Pourtant, à la vue de ses deux gants flottant comme deux mains blanches sur l’eau à peine ridée, elle ne pût s’empêcher de s’agenouiller sur la pelouse, et fut gagnée du frais humide à travers le tissu, et déchaussa même ses escarpins pour caresser l’herbe de ses pieds nus. Elle s’abandonna un bref instant à la sensation et ferma les yeux pour de bon.
Ce fut juste quand elle les rouvrit qu’elle vit devant elle un des gants qui s’enfonçait dans l’eau, semblant de ses doigts frêles signifier son adieu. Ce fut si soudain. Le gant s’était éloigné, avait disparu, tandis que l’autre flottait toujours paisiblement sur l’onde.
Elle tenta de s’approcher mais le premier gant avait bel et bien été englouti dans le pourtant peu d’eau du rivage, ou le courant, peut-être. Elle n’aperçut pas même son propre reflet, le courant, peut-être. Elle se conçût si légère qu’elle perdit la réalité de l’instant et se sentît elle aussi emportée, engloutie, dans un bien-être lent et long, qu’elle aurait su prolonger toujours. A part elle.




01/04/07 - Paris

08 avril 2007

Courir

Dans les allées du parc, dans les allées du parc de septembre les coureurs à pied se croisaient en petites foulées, slalomant entre les poussettes et les promeneurs.
j’ai bien fait de mettre un short il fait drôlement j’aurais eu beaucoup trop chaud trop vite doucement trop vite parti trop vite ralentir déjà essoufflé petit trot petit trot petit trot voilà voilà on ne fait pas la course franchement beaucoup de monde qui court je me demande
Les pelouses étaient investies de familles en pique-nique et de jeunes couples en fleurette et d’enfants en ballon et de dormeurs endormis et des sportifs en étirements et tractions.
déjà la semaine prochaine ils seront moitié moins nombreux là font les malins parce qu’ils reviennent de vacances mais dimanche d’après n’y aura plus personne pourquoi tout le monde me double ils sont malades moi je vais à mon rythme l’important c’est l’endurance bien respirer pour le plus longtemps durer oui c’est ça faut passer le premier cap ne pas céder à la première fatigue celui-là il marche il vient de me doubler je commence à être trempé
La météo avait annoncé un temps radieux et chacun faisait sa sortie, le monde entier semblait réuni dans le grand jardin, tous les gendres promenaient leur belle-mère, le pull noué autour du cou et le bambin sur les épaules, l’autre à la main de la main et pleurnichant pour une glace, quand ce n’était pas le landau vide et dans les bras ravis de la grand-mère imitant les babillages de la merveille, tous les cadres stressés avaient endossé la tenue ultra moulante et profilée pour fendre la bise et se donnaient à fond pour se récurer de tout cette pression accumulée toute la semaine, le chronomètre en bandoulière et toutes sortes d’appareil de mesure pour capter la performance.
je crois que j’ai un trou à mon short ça vient de craquer faut je fasse attention pas faire de trop grandes enjambées pas grand risque avec ce train de tortue mais regarde-moi lui-là avec sa tenue fluo et ses lunettes de ski il est vraiment ça fait combien de temps que dix minutes déjà je n’en peux plus ah je l’ai déjà vu tout à l’heure celui-là il y a juste un demi-tour il doit courir à la même vitesse que moi en fait ça va bien ce qu’il faut c’est éviter d’y penser et courir et regarder les arbres et attention il est fou lui il a failli me rentrer dedans j’ai de la transpiration dans les yeux peut-être faudrait j’essaie la tenue genre plongée ça à l’air plutôt pas mal tiens je le connais lui même si ça comprime un peu la j’ai l’impression que ça va plus vite attention poussette à droite qui déboule
La météo avait annoncé un temps radieux et un taux de pollution record, les pompiers avaient été mis en alerte et il avait été conseillé aux personnes asthmatiques d’éviter les sorties et les efforts intempestifs. Le parking à côté du jardin était comble de voitures. Il fallait profiter : le beau temps n’allait pas durer.
les gens ne regardent vraiment pas où ils vont drôlement mal cogné fort remarque lui aussi tombé ses lunettes valsé mal au nez qui saigne un peu mouchoir essuyer repartir m’a coupé les pattes encore quelques dizaines de mètres et j’arrête j’en peux plus j’ai tout donné j’ai un gravier dans ma tennis j’ai le coeur qui bat dans la bouche le cerveau qui bondit à chaque foulée une dernière pointe je vais tous les dépasser je vais y arriver j’espère je pourrais revenir la semaine prochaine je m’arrête m’arrête m’arrête ah qu’est-ce que qu’est-ce que ça fait comme bien qu’est-ce que ça fait comme bien quand ça s’arrête.



31 Mars - Paris