06 novembre 2006

Ecureuil

Une odeur de noisette sur l’écorce
Le coupe-papier effleure la page, le grain brun, mat
L’écureuil court le long, s’enserre le museau des pattes, se cache les yeux, se détourne, revient, regarde, furtif, se détourne, regarde, revient, grimpe le long d’un cuir tiède, sans souffle, regarde, se cache le museau, se détourne, revient, attend, sur le cuir tiède, sa queue touffue palpite
Le rocher s’étire au dedans, les continents intérieurs prennent forme
Sa queue touffue et d’or roux palpite, caresse le grain brun, l’écorce se lézarde, l’écureuil s’effraie, se rassure, pointe son museau dans l’aube plus fraiche, se nettoie les yeux des pattes, deux petites perles humides qui brillent
Les continents sont des esquifs, près à cogner au cuir mat du rivage
De sa queue touffue l’écureuil caresse la page, caresse les pages peu à peu libérées par l’effleurement, l’écureuil furète sur le cuir, la couverture, la peau tiède qui s’exprime, les continents dressent l’oreille, prennent conscience d’eux-mêmes, l’écureuil parti.
Le jour.
La noisette.



5 novembre 2006

05 novembre 2006

Tombée du jour

Ce qu’elle aimait le plus dans la vie, c’était se lever avant les oiseaux. Vous me regardez. Vous la connaissiez, vraiment ? Ce qu’elle aimait oui c’était se savoir en effraction juste avant le jour, non elle ne me l’a jamais dit mais je le savais, je n’y étais pas non, je n’y étais jamais parce qu’il fallait toujours qu’elle soit seule à ce moment-là, absolument éperdument seule, à coups de pied qu’elle aurait chassé l’importun perdant toute mesure, oui c’était sa façon. Et ce jour juste avant la nuit, il fallait qu’il ne soit qu’à elle, et que, sortant nuageuse de ses voiles à baldaquin, les tentures lourdes puissent être prises à deux mains pour s’ouvrir comme au théâtre, et là, et là, et là elle s’approchait en myriades de pieds menus glissant au parquet devenu velours, et fendait doucement des mains jointes l’embrasure de toile qui s’écartait sans souffle, ah il fallait deviner sa joie quand, la vue ainsi libérée, la fenêtre enfin ouverte, elle ne voyait que brume qu’humeur de nuit et souffle frais sur ses joues, ah il fallait le sentir ce souffle frais sur ces joues fraîches sur lesquelles perlaient vite des larmes de bonheur, elle était la rosée devenait la rosée fraîche de la nuée déserte et des champs silencieux s’ouvrant dans cette perte de vue qui ne se distinguait pas encore mais dont elle était emplie déjà dans ses joues roses et larmes, ah comme je sais tout ça, comme je sais tout ça, et son étreinte dans l’air vierge, ses gerbes de fleurs de nuit qu’elle jetait de ses bras nus, elle offrait toute sa profusion à la nuit encor, et elle donnait sens c’est elle qui donnait sens à la nature au dehors, alors qu’elle était à peine encore née des senteurs, elle les offrait à l’aube proche, alors qu’elle, à peine encore née, ce goût tamisé d’un rêve achevé à peine, elle l’offrait à la première brise, alors qu’à peine née, ce toucher mat s’éveillait d’elle à même l’herbe en bas, alors, à peine, sa prunelle, à peine effleurée, se jetait à corps perdu dehors, s’y jetait à tire d’aile et papillonnait alors même que oui, les oiseaux n’existaient même pas encore, c’était son chant à elle qui pouvait les créer, raccrocher la note bleue à la seconde suspendue, mais il était trop tôt, ce n’était pas encore la seconde propice, elle ne viendrait pas encore, car elle ne le voulait pas, tout simplement, et les loups des bois ne pouvaient qu’avancer en tapinois, les hordes de mulots et musaraignes devaient encore ramper sous terre dans les dédales pacifiés par les lombrics, non rien ne pouvait exister qu’elle n’eût décidé, le savait-elle elle-même je gage que non, tant pure était sa présence, tant son corps prenait à peine forme parmi les particules, oh non ne pas interrompre le cheminement de sa création, ne pas rompre le fil de sa densité fragile et du mirage de la réunion des fibres de l’âme et des oxygènes élémentaires. Oh non je ne sais pas réellement ce qui interrompit la magie ce matin-là, une porte malencontreuse eût-elle le malheur de claquer, un abreuvoir d’horreurs nocturnes se déversa-t-il à ses pieds, un importun tenta-t-il de boire à sa source à l’heure propice et défendue, non, pas même moi ne sût jamais ce qui advînt, ce qui interrompit le prodige du réveil, aucun signe manifeste non, à part son absence dans le lit à peine défait, à part une flaque de poudre de nuit sur le rebord de la fenêtre, à part l’absence de moi pour la sauver, à part les rideaux définitivement ouverts, à part l’horizon défait, à part la nuit plus jamais, à part les oiseaux, à part les oiseaux définitivement muets.Mais, vous la connaissiez ? Vous la connaissiez ?



octobre 2006