17 juin 2006

L'Ecrire

C’est une main qui coule le long d’un velours cramoisi.

C’est traverser l’interstice de part en part, le millimètre impossible.
C’est faire fondre flaque, belle de vide, belle invisible, bulle invisible, crever l’air.
C’est sortir de l’obscurité, dénouer le bandeau de sur les yeux, et le lien qui s’inscrit dans la chair du poignet.
C’est une grande traînée d’encre de la tranche de la main, un motif volontaire.
C’est un bouquet : la parenthèse de gauche, l’écuyère une jambe levée, et son ombrelle, la parenthèse de droite.
C’est traverser le cercle blanc de l’écran dont les bords se noircissent et s’épaississent et envahissent sans jamais jamais parvenir à éteindre le point blanc au centre au centre au centre qui tourne et s’accélère et illumine.
C’est s’approcher d’une rupture des dimensions.
C’est boire un grand bol de perles de rosée.
C’est une autorisation de caresse.



17 juin 2006

15 juin 2006

Il aura fallu



Il aura fallu qu'elle revienne.
Qu'elle franchisse enfin le petit portillon ouvrant sur le grand parc.
Qu'elle foule le sol meuble de la contre-allée, puis hésite entre divers chemins de traverse, avant de s'approcher du bassin, de s'asseoir au bord du bassin, s'y pencher un peu, s'en détourner pour finir.
Cette fois-ci le banc était vide.
Et il paraissait ainsi plus grand, son blanc plus sale, et les feuilles mortes s'accumulant à ses pieds le faisait comme s'enfoncer dans la terre.


Il aura fallu qu'elle revienne.
Et qu'elle s'asseye à cette même place, qu'elle entende le soleil couchant.
Ce n'est point oeuvre d'imagination que d'observer les jeux flûtés des enfants à lancer leur petit bateau sur l'onde dorée, sauf qu'il n'y en avait plus qu'un, d'enfant, mais le contre-jour et le scintillement sur l'eau l'avait démultiplié comme un découpage de papier en ribambelle.
L'enfant s'est mis à pleurer, son bateau s'étant trouvé coincé sur la mangeoire au centre du bassin.
Il faudra l'intervention du gardien et d'une longue perche pour que s'endiguent ses larmes. Il partira, soutenu par le bras du papa ne tenant pas le voilier.
Alors, sous le sifflet annonçant la fermeture prochaine des grilles, il faudra bien qu'elle se reprenne, au froid, au moins clair, et s'enserre dans son manteau lourd à boutons de bois, son bouquet son gros bouquet de fleurs pendant à la main.


Il aura fallu qu'elle revienne.
Dans la crainte de se laisser enfermer, elle avait même failli l'oublier, son bouquet, qu'elle avait posé lâché sur le banc sans en prendre conscience, ce bouquet de tulipes qu'elle avait fini par trouver malgré la saison, son bouquet à elle, tellement heureuse de pouvoir le serrer sur son coeur et de s'enivrer de l'absence de parfum.
Elle aimait tant les fleurs coupées, cette part de nature en vase pénétrant dans sa vie, touche vivace sur la bois sombre.
Mais ce n'était au fond pas tant cette invasion de vif qui la troublait, mais bien plus, et elle n'aurait jamais osé l'avouer, sans du moins que ses joues ne se parent de rouge et rehaussent les pommettes saillantes dignes d'une princesse en troïka, tant l'aveu d'elle-même l'emplissait de confusion. Ce qu'elle chérissait, c'était la chute des pétales en un bruit mat dans l'épaisseur du silence, mat et lent, d'une étoffe lourde.
Ces fleurs n'étaient-elles pas à elle, après tout ?


Il aura fallu qu'elle revienne.
Et qu'elle se souvienne.
Elle était alors penchée sur une traduction. Et, relevant le nez de son travail, éblouie par un reflet inattendu du soleil dans la porte vitrée, alors que l'après-midi commençait à se coucher aussi, elle se rendit compte que quelque chose avait changé dans la pièce. Non pas le chien enroulé dans l'autre sens dans son panier et ronflotant paisiblement, la surprise venait plus du bruit, ou plutôt de l'absence de bruit.
D'un bruit qui s'était arrêté. Elle n'entendait plus que ça.
Elle regarda sa main couverte de fleurs de cimetières. Elle ne fixait plus le calcium, ses ongles étaient devenus tout mous et tout blancs. Elle tenta d'en rayer la bois de la table et frémit de ne rien entendre de ce qui naguère lui vrillait les sens.
Le chien ne dormait plus dans son panier, il était à l'étage, c'était les soubresauts du frigo qui la déconcertait toujours auparavant.
Depuis de longues semaines déjà elle ne trouvait plus de tulipes.


Il aura fallu qu'elle revienne.
Laissant le petit portillon claquer derrière elle et s'envoler les dernières feuilles,
et s'enfoncer définitivement dans le sol en putréfaction le banc blanc et sale et vieux et vide,
et pousser les chênes infinis transperçant le coeur des nuages en profusion,
et faire d'un raz-de-marée fantastique se taire tout ce tumulte,
tout effacer d'un trait de gomme,
croquer les tulipes et le vase,
arracher les boutons de son manteau,
s'engouffrer dans ce nouveau soir.




Lozère, avril 2006