31 mai 2007

L'horloge si l'évasion

Lune de faïence aux heures romaines
Sourire aux yeux fermés
Il faut partir.

Lune de faïence aux heures païennes
Grain de silence et grain de pluie
Ton cœur de cuivre sait la balance
Il faut partir.

Lune de faïence aux heures du dedans
Ton corps sait toutes les résonances
Et s’espère des imaginaires essentiels
Il faut partir.

Lune de faïence aux espoirs obstinés
D’un, si possible, désordre rêveur,
D’un, si possible, débordement,
D’un, si possible
Partir.



dimanche 27 mai, Paris

Tableau noir

Le tableau noir est vert
Les mots à la craie sont beaux
Heureuse l’éponge.

Ce soir

Ce soir je m’en irai
je passerai la fenêtre
je foulerai l’herbe tiède encore.

Ce soir je m’en irai

par le ciel bleu de mars et les oiseaux
par le soleil encore là-bas.

Ce soir j’emmène la balançoire
j’emmène le chêne et la route avec moi
je m’emmène grandir dans d’autres champs.

Bleu marine


Le matin est bleu marine

Chaque seconde m’appartient
Chaque seconde silence.



samedi 26 mai, Paris

30 mai 2007

Mystère de la création

A l’ombre du réverbère poétique de projet n’avais pas ne voulais pas.
Mais. Le cône d’ombre en pleine lumière s’est fait iris à la chatouille de la plume,
Cône d’ombre fait iris, fait pupille dilatée éblouie, fait croissant de lune orangé, croqué, caressé, liberté
Soucoupe de lait, affleure le lait, à fleur de lait
Soucoupe de lait vastement épandue de son suc.


Mais quoi ? Oui, puiser plus loin encore derrière l’inépuisable, trouver la ligne épurée, et toujours encore et toujours contourner détourner les chemins oisifs, contourner la langue râpeuse et la luette, et s’approcher encore du mystère, pour le dire, ou plutôt non, ne pas le dire, laisser languir, s’approcher du mystère en fourrure de la création du ronronnement.



samedi 26 mai, Paris

07 mai 2007

Le retard

Mais qu’est-ce qu’elle peut bien fabriquer, encore ? Oui, cette fois encore elle était en retard, il lui avait pourtant bien dit : cette fois arrange-toi pour ne pas être en retard, elle était en retard. C’était inévitable, pourquoi avait-il pu penser qu’il pouvait en être autrement cette fois-là. Il fallait qu’il soit bien sot. Pour y avoir cru une nouvelle fois. Parce qu’elle avait promis. Parce qu’il rêvait du jour où elle serait à l’heure. Parce qu’il croyait encore qu'il pourrait la faire changer. Parce qu’il avait beau faire le tour de la question, il ne parvenait pas à comprendre comment elle pouvait parvenir avec autant de rigueur à être à chaque fois, sans exception, jamais, aucune, au moins dix à quinze minutes en retard. Sans qu’aucun argument ne change quoi que ce soit. Et quinze minutes c’était un minimum, car dernièrement elle se déchaînait dans les records. Une heure et demie la dernière fois. Oui : quatre-vingt-dix minutes, je te jure ! Est-ce que tu peux parvenir à y croire : quatre-vingt-dix minutes ! Elle doit le faire exprès, je ne vois plus que ça comme explication. Est-ce que je suis en retard moi, non, ça, jamais. Je suis même connu pour ma ponctualité extrême. Toujours un petit peu en avance même, on ne sait jamais, pour être bien sûr de ne jamais faire attendre, je déteste faire attendre, question de respect. Je ne comprends pas comment tu peux mettre autant de temps pour te préparer, vraiment les femmes, toujours à faire les choses au dernier moment, elle ne pourrait pas y penser avant ? Et bien non ! Commence à descendre, je t’assure j’en ai pour cinq minutes, le temps de. Et qui c’est qui pianote trois plombes au volant de la voiture ? A chaque fois je suis obligé d’éteindre le moteur, et j’ai bien le temps de m’en fumer deux ou trois, et elle arrive toute essoufflée, je n’ai même pas eu le temps de me coiffer, tant pis on s’arrêtera dans une station service. Et c’est rare si elle n’a rien oublié.
Cette fois encore elle était en retard et il s’agaçait de plus en plus. Plus il tentait de garder son calme, plus la colère montait. Et s’entretenait. C’est vrai, il lui avait fait promettre, c’était essentiel qu’ils arrivent à l’heure, il risquait sinon de rater l’affaire, deux semaines qu’il était dessus, ah ça elle n’allait pas lui faire rater, ah ça non. Elle allait voir cette fois. Et si je m’en allais, hein, ça lui ferait bien les pieds. Elle se moque de moi, elle ne pense qu’à elle, encore pendue au téléphone ou à traîner dans la salle de bain. Et certain, elle va encore arriver avec un bon prétexte. Ce n’est jamais de sa faute jamais, toujours une bonne excuse. C’est moi le foutu idiot à chaque fois je râle mais à chaque fois je l’attends et à chaque fois je me fais avoir, elle arrive toujours désolée et me fait son numéro en espérant que je ne lui dise rien, mais je râle quand même, même si je sais que ça ne sert à rien. Mais qu’est-ce que tu as foutu, et je m’enferre et je rumine et je lui parle plus. Si au moins elle perdait l’habitude de me faire faire le poireau sur le trottoir, plutôt que de se donner rendez-vous dans un café, et toi non tu ne me demandes pas de feu je ne t’en donnerai pas je ne fume plus, elle préfère que je l’attende dans la rue.
Il y a plusieurs manières d’envisager le retard. Ou plutôt le fait d’attendre quelqu’un qui va être en retard, qui risque d'être en retard, qui est déjà en retard. Il est en effet certain que la personne en retard aura toujours, et d’avance, une raison sérieuse à avancer, pour se déculpabiliser ou tenter de calmer la personne qui a attendu, laquelle n’attend en général que cette occasion pour se déchaîner, oui, je sais pas si tu te rends compte, mais se déchaîner pour le principe, parce que hein, j’ai attendu, j’ai tout de même le droit de faire payer mon temps d’attente. Toujours l’occasion de belles leçons de morale et de jeux de victimisation qui finiront toujours par une brouille. Pour fatalement renouer peu de temps après, raison oblige. Franchement, pas la peine d’en faire des tonnes pour cinq minutes d’attente, tu n’avais qu’à aller prendre un café si tu étais aussi certain que je serais en retard, je t’y aurais retrouvé. Et comment tu m’aurais retrouvé hein, si tu ne savais pas où j’étais ? Et on aurait encore mis une heure à se trouver ? Toujours tes fameuses idées, tu pourrais seulement t’excuser, même faire semblant, plutôt que d’arriver comme une fleur et de m’accuser de faire une tête de six pieds de long. Qui est-ce qui a eu l’air d’un satyre à attendre une heure à côté du petit manège ? Tu aurais vu la tête des mamans qui protégeaient leur progéniture. Tu me mets toujours dans des positions impossibles.
Il y a une irrésistible mystique du retard. Mystique d’un infini tubulaire. Nébuleuse impénétrable. Nébuleuse impénétrée. Ne pas tenter le traitement rationnel. Il faut tout à fait croire la personne qui se justifie, pour s’être malencontreusement trouvée obligée de témoigner au commissariat que non elle ne connaissait pas cette charmante vieille dame qui ne se souvenait plus ni de son nom ni de son adresse et les agents l’avait obligée à déposer ses empreintes pour prouver que ce n’était pas sa grand-mère tu me croiras si tu veux mais j’étais franchement embarrassée surtout que je commençais à m’attacher à cette pauvre dame toute perdue surtout que j’avais absolument promis à Sonia de décoller son papier peint, tu comprends elle n’en peux plus de son papier peint, alors il a fallu que je me décommande, tu sais comme je déteste ça et une fois arrivée à la maison j’ai eu un appel de ta mère, enfin, je te passe les détails, je suis littéralement épuisée et je t’avoue que là, franchement, aller voir tes bonshommes, ça me dit trop rien, voilà. On va faire comme ça, tu vas y aller sans moi, tu trouveras bien une excuse, ne me regarde pas comme ça. Il faut toujours que tu gères tes affaires avec moi, ça sera bien pour toi d’y aller seul. Des fois j’ai l’impression que tu me prends pour ta mère, ça me fatigue carrément, je n’en peux plus même, je te le dis comme je le pense, voilà c’est fait, comme ça tu le sais, c’est trop à gérer pour moi, j’aimerais bien que tu apprennes à te gérer tout seul, ça me ferait de l’air. Oh la là, la tête qu’il fait, je crois qu’il va me mordre, je suis allée trop loin, j’aurais pas dû lui dire ça comme ça, oh et puis non j’ai bien fait, j’en ai assez de lui tenir toujours la main c’est vraiment un gamin, enfin, je n’aurais peut-être pas dû. Tu es contente de toi, maintenant que je suis franchement en retard, de ta faute, tu en profites pour me faire une scène, pour être bien certaine que je rate mon affaire de bout en bout en me culpabilisant, tiens, c’est même pas le peine que j’y aille. Toujours sa faculté à exagérer, il manque d’un sang-froid, je me demande vraiment. Mais, ne te mets pas dans un état pareil mon tout beau, tu sais très bien que tu ne vas en faire qu’une bouchée de ces deux-là, tu es au-dessus d’eux. C’est eux qui ont besoin de toi, non ? C’est bien ce que tu m’as dit. Elle ne veut pas que je la présente, pourtant, si elle était là. Au moins tu aurais pu appeler pour prévenir que tu ne voulais pas venir, plutôt que de me faire attendre une demi-heure. Une demi-heure, tu exagères !
Plutôt qu’attendre, pourquoi ne pas se faire attendre ? La sensation peut être douce de se savoir attendu. Ne pas abuser, non, juste quelques minutes, juste le petit frisson du petit retard.
Ou alors : ne pas attendre, peut-être c’est mieux. Peut-être c’est la solution. La prochaine fois, je te préviens, je ne t’attends pas, je te jure je le fais, tu auras l’air malin. Ne pas se plaindre non, c’est de l’énergie, c’est de la colère inutile, de la vie perdue. Lorsque l’on sait que la personne que l’on attend a toutes les chances de partir de chez elle à l’heure du rendez-vous, mieux vaut s’armer de patience et de sourire, en aimant d’amour d’avance le temps à attendre, s’armer d’un livre ou d’un café ou d’un ami, ou s’armer d’un départ simple et tranquille. Ne m’attends pas je suis parti. Non, ne rien dire, juste : partir. Libre. Dans un tout nouveau temps.



21/4/7 - Paris