18 novembre 2007

L'épicentre et la matière

Je crois que pour écrire j’ai besoin d’un rond. Par rond j’entends : un centre, la chaleur ronde d’un soleil derrière des carreaux, un lieu épicentre et équilibre, le plateau nu et grand et rond d’une table sans tissu pour toucher la matière, un bois foncé, pouvoir être attablé sans rien autour ni derrière ni aux côtés, aux heures où la lune fait silence, aux heures où le soleil fait sieste, sur un papier lisse et sans miettes que la main caresse pour l’envisager, apurer le grain pour le donner plus vierge encor
J’ai besoin avec mes jambes de trois kilomètres de pouvoir les allonger dans le moelleux. M’accorder la douceur de la mie de pain. Tourner trente-sept fois dans mon panier pour trouver la bonne position. Il n’y en a qu’une. Elle doit tomber comme une évidence.
Et m’asseoir d’abord donc
M’asseoir d’écriture
Trouver l’aimant.


L’épicentre sera là où tout seulement commence. Après, mon atelier pourra s’enfleurir dans d’autres couches ou sous d’autres luminaires. C’est la poignée de grains semés au vent, et du vert tendre pour boutures.
L’épicentre n’est pas la suite, l’épicentre n’a pas la finition, tout pourra s’endiabler dans la foule ou par un clavier complice, de la coupe claire à la rature sombre et au rire frais d’un nouvel équilibre accompli.
Ne pas oublier de caresser les feuilles, souvent.


L’épicentre ne sait pas la matière, elle vient par bouffées, comme des poignées de sable mouillé, vestiges de sculptures infantes, d’un fil à plomb du fond d’un puits, de dames de pique ou de cœur d’un château de cartes, elle a les couleurs du ciel, elle aime les livres elle les lit tous, s’en enrobe et s’en fait voyages et chroniques, les recrée, les dépasse et les range dans une absolue géométrie sur ses mille et mille degrés d’étages, gradations des sucs et plaisirs et chairs de corps et nuit et fougue


La matière se nourrit d’elle-même et se doit de s’embarquer sur de hauts et beaux paquebots de transhumance pour s’aller dans les tyrols alpestres, des voûtes catalanes ou autres embarquements pour la Lusitanie et des cieux de Golem et de vaste Danube, s’inscrire et pénétrer d’autres langues, perpétrer les transversales des inconscients collectifs et de l’amnésie personnelle pour s’imbiber des alphabets universels et dépasser la seconde de réalité pour la dilater et lui faire rendre gorge en mousses généreuses et lui faire rendre corps de par la parole des pierres exhumées et de toutes les transgressions possibles et dénouer le corset impeccable de la sagesse apprise et la rendre fière et libre


Et, l’épicentre et la matière s’iront la main dans la main, tout à la joie de ce harnais crânement délaissé, et pourront voudront devront exulter, acceptant l’émotion de ce qui avance et de ce qui s’écrit et devra continuer à s’écrire pour exister, et exister à l’écriture.



21 octobre 2007, Paris

11 novembre 2007

Parole

Elle racontait et je l’écoutais.
Etait-ce à moi ou à un autre qu’elle parlait, je l’écoutais.
Je ne reconnaissais pas sa voix.
De ma distance, je voyais ses épaules frêles sous la soie froissée, sa main posée délicatement à la naissance du cou, caressante et protectrice de son corsage, une bague en cornaline inattendue à l’auriculaire, lequel pianotait sur le premier bouton fermé.

Ce geste, sa main recueillie, semblait devancer l’arrivée des mots, leur faciliter une audace que son visage ne pouvait contenir, par le rouge de ses pommettes et l’éclat de ses yeux. De son autre main elle se tamponnait régulièrement le front d’un mouchoir blanc bien plié.

Son agitation allait croissant, ses traits s’enfiévraient, tandis que les mots affluaient de ses lèvres et sa voix franchissait les octaves vers le bas. Je la savais fragile de la gorge, et elle portait toujours sur elle, contenues dans un sachet de papier, de pastilles de miel dont elle usait fort et qu’elle distribuait à l’envi. Elle ne se rendait pas compte des ratés dans l’inflexion de ses mots. Comme du sucre cristal enrayait puis griffait peu à peu son timbre, qui s’éteignait pour devenir murmure, scansion inaudible.
Sa main remonta peu à peu à son cou pour étreindre sa gorge, alors que les mots ne sortaient plus du tout et ses larmes jaillirent pour de bon, sa dernière ressource pour dire son impuissance.
Un verre d’eau lui fut apporté et on la fit asseoir. Elle put prendre un bonbon au miel qu’elle suçota longuement, retrouvant peu à peu son calme. Son mouchoir essuyait désormais ses yeux.

En tombant sur sa voix comme un voile opaque ses sanglots m’avaient pour la première fois fait accéder au tumulte et à la gravité de son âme, comme la voix rayée d’un corps intérieur qui refusait la décision des jours.



30 septembre 2007, Paris